Free frime

Un Xavier Niel au bord des larmes, une communauté surexcitée sur Twitter et une couverture médiatique unanime. C’est le ramdam du jour - voire du mois - et l’info dont vous disposez déjà : l’opérateur Free vient de lancer son offre mobile, devenant ainsi le quatrième opérateur du secteur.

L’annonce était attendue. Le patron d’Iliad, la maison-mère de l’opérateur, n’a de cesse de le clamer depuis 2008 :

Nous pourrions diviser par deux la facture de téléphonie mobile.

Les offres promettaient d’être disruptives. Elles le sont. Tout comme l’engouement qui en résulte. Pas seulement dans la fidèle “communauté” des “Freenautes”, maintes fois remerciés, par Xavier Niel1 lors de la “keynote” de la matinée. Mais aussi dans les médias, auprès desquels Free bénéficie aujourd’hui d’une surprenante adhésion unanime, démontrant ainsi la puissance de sa force de frappe commerciale et marketing.

“L’entrée fracassante de Free dans le mobile”, “Évolution ou révolution” ? , “Le détail des futures offres”, des portraits hagiographiques ou des pages d’accueil prises d’assaut par de multiples articles et vidéos : l’information a bénéficié d’une exposition maximale (voir ci-dessous l’extrait de la une de La Tribune).

Sur Twitter, le hashtag annonçant le lancement de l’offre (#freemobile) atteint très rapidement le rang de “trending topic” – sujet le plus évoqué par les utilisateurs du site. Dailymotion, responsable de la couverture vidéo de l’événement, a compté jusqu’à 150 000 personnes simultanément connectées. Un carton.

Et ce sans campagne publicitaire classique. La communauté “geek” a été appâtée par des clins d’œil sur les réseaux tout au long du mois de décembre : langage “leet speak”, faux profils Twitter et diffusion de rumeurs. La machine a rapidement été mise en route, et ce sont les membres de cette communauté qui l’ont alimentée. Les médias traditionnels ont été pris par cette “Freemania”. Ayant déjà traité cette forme de communication originale, ils ont mis en place des dispositifs exceptionnels afin de suivre les annonces de Xavier Niel. Et cela semble répondre à une attente démesurée des lecteurs, tant les articles traitant le sujet ont connu des pics de trafic. Sur Twitter, le directeur des affaires règlementaires de Free, Alexandre Archambault, se vante d’avoir dépassé, avec Free mobile, le pic d’audience des sites de presse en 2011.

La com’ du chevalier blanc

S’il a été adoubé chevalier blanc des télécommunications par l’ensemble des médias, Xavier Niel n’a pas attendu la presse pour se faire pourfendeur du secteur. La rhétorique d’une altérité bienveillante incarnée par Free est le fil rouge de la communication de l’opérateur. En lançant son offre ADSL en 2002, il s’était fait sauveur de l’Internet fixe, fustigeant les marges et les ententes de la concurrence. Et le forfait “triple-play”, accès à Internet, téléphonie et télévision, dont il est à l’origine, a en effet changé le visage du secteur. En s’attaquant au mobile, Xavier Niel et ses équipes tentent de réitérer l’Histoire. En empruntant le même discours véhément, agressif ; bref, en opposition au club très fermé des gros opérateurs, dont ils font pourtant déjà partie sur l’Internet fixe.


Free se moque de ses concurrents montrés comme… par Nouvelobs

La vidéo de présentation de la conférence donne le la : “Free contre tous”. L’histoire de l’arrivée de Free sur le marché du mobile y est parodiée sur le modèle des messages à caractère informatif. En toutes lettres apparaissent les noms des patrons d’entreprises concurrentes, hostiles à l’arrivée d’un quatrième opérateur. Martin Bouygues (Groupe Bouygues), Jean-Bernard Lévy (Vivendi, maison mère de SFR), Franck Esser (SFR). Seul Stéphane Richard, directeur général de France Télécom/Orange est épargné. Nous aurons le temps d’y revenir. Free caricature ses rivaux, leur rentre dans le lard. A la limite de la diffamation. La voix nasillarde et moqueuse lance :

Condamnés en novembre 2005 à payer 534 millions d’euros pour s’être entendus dans le cadre d’un Yalta visant à maintenir leurs parts de marché respectives, les trois grand opérateurs français qui se partagent le pactole du téléphone mobile ont-ils vraiment fait amende honorable ? Rien n’est moins sûr.

Et de poursuivre en évoquant le “lobbying intense”, la “désinformation”, le travail de “désintox”, les “chausse-trapes” et “peaux de bananes” qui ont jalonné l’entrée de Free dans “l’univers impitoyable du mobile”.

En prenant la parole ce matin au siège de Free, Xavier Niel n’en démord pas, présente sa boite comme le trublion du secteur, un héros qui “rend du pouvoir d’achat à tous les Français” et qui “souhaite que tous [ses] concurrents s’alignent sur [lui].” A l’en croire, l’enjeu de Free Mobile n’est pas tant d’engranger de nouveaux clients, que de libérer les Français du joug des oppresseurs télécoms :

Donner une leçon à votre opérateur, venez chez Free ou demandez à votre opérateur de pratiquer les mêmes tarifs. On vous laisse le choix des armes.

Xavier Niel est allé jusqu’à comparer ce 10 janvier à la “Libération”. Emphase venant faire écho à un de ses tweets, publié hier, citant les vers qui avaient annoncé le débarquement. Rien que ça.

Free, plus Goliath que David

Free n’est pas un opérateur comme les autres. L’enthousiasme qu’il suscite repose-t-il également sur une stratégie industrielle à part ? A voir. Un peu à l’image d’un Apple face au géant Microsoft, ou d’un Google face à Yahoo, Free est aujourd’hui plus proche de Goliath que de David. S’il taquine encore les oligopoles en place, il doit composer avec la logique du milieu.

La proximité de l’opérateur avec Orange en est un bon exemple. Son patron Stéphane Richard, en plus de ne pas être moqué dans la vidéo d’introduction à la keynote, a été remercié par Xavier Niel en personne. Son passage à Bercy, entre 2007 et 2009, à la direction du cabinet de la ministre de l’Économie de l’époque Christine Lagarde, aurait joué en faveur de Free. Beaucoup, au sein de l’opérateur, se sont d’ailleurs réjouis de l’arrivée de Stéphane Richard à la tête d’Orange. Orange et Free, copains comme cochons ?

Outre les piques d’usage entre les deux boîtes et leurs représentants, les accords fusent. Sur la fibre, les deux opérateurs ont un accord de cofinancement des réseaux, portant sur une soixantaine de communes. Sur le mobile, c’est le réseau d’Orange dont Free profite pour combler sa couverture toujours partielle du territoire français (30 %). En mars 2011, les deux opérateurs ont signé un accord d’itinérance d’une valeur d’un milliard d’euros. Pour justifier ce rapprochement, Stéphane Richard explique qu’il ne voulait pas voir ce chiffre d’affaires additionnel aller dans la poche de la concurrence. Quitte à accepter, sur un réseau d’antennes qu’il estime déjà saturé, le forfait imposé dans les termes de Free ? Soit une consommation Internet plafonnée à 3 giga octets (bien plus que celle proposée chez Orange) et ouverte aux peer-to-peer et à la voix sur IP (services tel Skype), jusque là bannis (ou nécessitant un effort financier) du mobile.

De même, quand Xavier Niel est prompt à dénoncer “l’État” ou “Bercy”, il peut compter dans le même temps sur certains soutiens de poids. Du côté de François Fillon, également remercié en fin de présentation, ou du cabinet d’Éric Besson, le ministre de l’industrie et de l’Économie numérique. Qui s’est d’ailleurs “félicité” du “lancement commercial” de Free dans un communiqué. Si la course à la licence mobile a été longue et semée d’embûches, le “petit” opérateur a aussi su faire du lobbying, et s’entourer des bonnes personnes.

En l’état, l’offre de Free semble effectivement attractive pour le consommateur, comparée aux multiples forfaits des concurrents Orange, SFR et Bouygues Telecom. Moins chère, plus lisible (uniquement deux offres et une page de Conditions Générales de Vente) et dans le respect du principe de neutralité des réseaux. Déjà un progrès. Le patron de Free a néanmoins rappelé que les offres annoncées aujourd’hui ne constituent que des “produits d’appel”, destinées aux premiers abonnés. D’autres suivront, “Méfiez-vous !”, ironise Xavier Niel. Satisfait mais prudent, Edouard Barriero, en charge d’Internet au sein de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir avertit à son tour : “Le diable est dans les détails”.


Voir aussi FreeMobile : combien ça coûte ?, la #data calculette d’OWNI pour comparer ce que vous paierez jusqu’à votre date de fin d’engagement, en conservant votre forfait ou en choisissant un forfait Free Mobile (frais de résiliation compris).

  1. actionnaire minoritaire (à 6%) de 22mars, société éditrice d’OWNI []

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