La police du chiffre se calcule

Le 22 septembre 2011

Sur la base de documents internes à la police nationale, OWNI décortique la politique du chiffre mise en place par le ministère de l'Intérieur. Qui exige, au coupable près, son lot d'arrestations. Cas pratique avec la ville de Coulommiers.

La politique du chiffre dans la police s’arrête à Coulommiers. Comme OWNI a pu le constater après avoir pris connaissance de plusieurs documents émanant du commissariat de cette ville de Seine-et-Marne, promise à avoir valeur d’exemple. À l’origine, la semaine dernière, le site Mediapart révélait des propos peu diplomatiques échangés à l’intérieur de ce commissariat, entre un commandant de police et un brigadier chef excédé. Lequel a enregistré la conversation. Tout en nuances, le brigadier affirme:

La politique du chiffre de merde, c’est de la merde.

Nous avons voulu en savoir plus. Ces derniers jours, nous avons obtenu, pour cette ville, les objectifs chiffrés de 2008 définis dans deux notes de service, l’une de la Direction Départementale de la Sécurité Publique (DDSP) de Seine-et-Marne, et l’autre du commissariat de Coulommiers lui-même. Les deux documents énumèrent chiffres, indices et objectifs que les policiers du secteur sont supposés devoir respecter.

Les taux d’élucidation, mesures de l’efficacité exigée des services de police, donnent le ton. Détaillés, catégorie par catégorie, ils forment une drôle de liste à la Prévert. 15,5% pour les vols et les recels, 41,2% pour les infractions économiques et financières, 58,5% pour les autres infractions dont les stupéfiants. Et pour atteindre un taux d’élucidation de 54,5% pour les atteintes volontaires à l’intégrité physique, les fonctionnaires concernés du commissariat de Coulommiers sont sommés d’y “apporter toute leur attention”.

Cibler les stupéfiants et les étrangers

A travers ces chiffres se dessine la politique sécuritaire du gouvernement. L’accent est mis sur les fameuses “infractions révélées par l’action des services” (IRAS) que le brigadier V. dénonçait avec véhémence dans l’entretien avec son commandant. Les trois objectifs particuliers assignés pour l’année concernent la lutte contre les violences faites aux personnes (1), contre l’immigration clandestine et le travail clandestin (2), contre les violences urbaines (3) et contre les trafics de stupéfiants et l’économie souterraine (4).

L’objectif des “mis en cause pour infractions aux conditions générales d’entrée et de séjour des étrangers” est revu à la hausse, on exige l’arrestation de 1698 personnes contre 1633 en 2007. Le document ajoute de menus détails : 24 mis en cause pour “aide au séjour irrégulier” soit une augmentation de 12,5% par rapport à l’année précédente, 99 mis en cause, dont un tiers d’étrangers, pour “travail clandestin et emploi d’étranger sans titre de travail”.

Sur les modes d’action, la DDSP révèle quelques surprises : le “taux de signalisation des gardes à vue” (sic) doit passer à 100% en 2008, alors qu’il est de 95,2% en 2007. Les déplacements sur les lieux de vols par effraction et véhicules volés découverts doivent être systématiques conformément aux objectifs fixés par la Direction Centrale de la Sécurité Publique – les policiers ne se déplaçaient pas une fois sur quatre en 2007. Les fonctionnaires de police sont invités à conserver un “taux d’activité hors des locaux de police” de 41% et un “taux d’occupation de la voie publique” de 6%.

A l’échelle de Coulommiers, le commandant de police égraine les résultats attendus. Entre 2006 et 2007 le nombre d’interpellations pour “infraction à la législation sur les étrangers” est multiplié par 2,3 passant de 29 à 67, un niveau “[qu’] il conviendra de maintenir” précise le document. Et de détailler les moyens pour y arriver : “au moins 6 opérations de contrôle aux de fins de rechercher des travailleurs clandestins et des étrangers sans titre de travail” sont imposées à la brigade de sécurité urbaine. Même précision chiffrée pour la lutte contre le trafic de stupéfiants. A la première personne du singulier, le commandant écrit :

Je fixe à la CSP [Circonscription de Sécurité Publique] de Coulommiers pour l’année 2008 l’objectif de constater au moins 2 faits de trafic, 8 faits d’usage-revente et 160 faits d’usage.


Enquête réalisée avec Jean-March Manach.
Crédits Photo FlickR CC by-nc-nd MatHelium / by Conner395

Illustration de Une Marion Boucharlat

Retrouvez le dossier complet :
La note à l’origine de la politique du chiffre
Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente
Fillon a abrogé la culture du chiffre de Sarkozy #oupas

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