Après la taxe Google, la taxe CNC?

Le 13 juin 2011

Ce week-end, le gouvernement a tenté de faire passer un amendement visant à ce que les FAI contribuent via la taxe sur les services de télévision au financement du Centre national du cinéma et de l'image animée.

Dans la nuit de samedi à dimanche, le gouvernement a essayé en vain de faire passer à l’Assemblée nationale un amendement [pdf] au code du cinéma et de l’image animée dans le cadre du projet de loi de finance rectificatif visant à taxer les FAI pour financer le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Placé sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communication, cet établissement public est chargé de soutenir la production cinématographique française.

Présenté par François Baroin, le ministre du Budget, cet amendement 1577 a finalement été repoussé après des interventions venues des rangs mêmes de la majorité : le rapporteur général de la commission des finances Gilles Carrez (UMP), d’Olivier Carré (UMP) et de Jérôme Cahuzac, le président de la Commission des finances à l’Assemblée nationale et de Charles de Courson (NC) sont ainsi montés au créneau. (lire l’intégralité des échanges ou les voir sur Dailymotion)

Actuellement, le CNC est financé entre autres par la TST, taxe payée par les éditeurs et les distributeurs de services de télévision. L’amendement visait à faire rentrer dans le champs des distributeurs les FAI  :

Est également regardée comme distributeur de services de télévision, redevable de la taxe mentionnée au présent article, toute personne proposant un accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie, dès lors que la souscription à ces services est nécessaire pour recevoir, au titre de cet accès, des services de télévision.

L’amendement visait aussi à redéfinir l’assiette de la taxe : « La taxe sera désormais calculée en appliquant un barème simplifié de quatre tranches, au-delà de la franchise de 10 M€, sur l’ensemble du chiffre d’affaires issu des abonnements et autres sommes acquittés pour accéder à des services de télévision. » Dans le détail des tranches :

1,25 % pour la fraction supérieure à 10 000 000 euros et inférieure ou égale à 250 000 000 euros ;
2,25 % pour la fraction supérieure à 250 000 000 euros et inférieure ou égale à 500 000 000 euros ;
2,75 % pour la fraction supérieure à 500 000 000 euros et inférieure ou égale à 750 000 000 euros ;
3,25 % pour la fraction supérieure à 750 000 000 euros.

La mesure, qui ne semble pas incohérente vu la croissance de la consommation de la télévision sur Internet, en contournant la redevance, soulève des critiques. L’argument de la précipitation et le précédent de l’augmentation hasardeuse de la TVA de 5,5% à 19,6% sur les abonnements triple play a ainsi été avancé pour justifier un rejet. Gilles Carrez :

La commission n’a pas examiné cet amendement que nous découvrons à l’instant. C’est un sujet extrêmement complexe. Une seule chose me donne satisfaction : lorsque j’ai eu à rapporter, à l’automne dernier, le dispositif qui basculait de 5,5 % à 19,6 % la TVA sur la partie non services de télévision des offres multi-play, j’avais mis en garde – cela figure au compte rendu – sur le fait que nous aurions inévitablement des optimisations.
C’est ce qui se passe : certains opérateurs ont compris et minorent, au sein de l’offre multi-play, la partie offre de télévision.

Une mesure qui aura pour effet, a noté Jérôme Cahuzac, d’« aboutir à un financement, notamment du CNC, qui sera excessivement réduit par rapport à ce qu’il est aujourd’hui, étant entendu qu’aujourd’hui le CNC est plutôt en surfinancement qu’en sous-financement. [...] Mais la compensation serait excessive si nous laissions les opérateurs profiter de la faille législative qu’a introduite la loi de finances par la réduction de cette niche [la taxe COSIP, le compte de soutien à l’industrie des programmes]. »

Charles de Courson (NC) posait également la question de la légalité de la taxe :

Sur le fond, je m’interroge sur l’euro-compatibilité de la mesure proposée. Je me tue à le dire depuis des années, chaque fois qu’on crée une taxe ad valorem, elle est euro-incompatible, contraire à la directive TVA. Quand le Gouvernement a créé la taxe poissons, on m’a expliqué qu’il n’y avait pas de problème. Et, aujourd’hui, on va être obligé de la supprimer.

La question de fond du financement de la culture

En guise de commentaire, Edouard Barreiros, responsable du numérique à l’UFC-Que choisir, contacté par OWNI, commence d’abord par rire : « C’est très drôle. C’est toujours la même chose, on va chercher dans les poches des FAI pour financer la culture, c’est intolérable. »

D’abord ce sont des moyens détournés de financement ; ensuite, cela se répercute sur les consommateurs. Il y a des taxes partout sur la culture mais le consommateur paye déjà beaucoup pour elle, sans y avoir toujours accès, alors que de l’autre côté, on nous tape dessus avec Hadopi et on nous refuse la licence globale.
On fait voter des lois au nom des artistes et de la culture mais au final ce sont les entreprises qui se font de l’argent. Le CNC finance aussi des blockbusters, il faudrait s’assurer qu’il y ait un retour pour les artistes.

Pour l’UFC, cet amendement n’est donc qu’une illustration supplémentaire de la question du financement de la culture. L’association souhaiterait s’y attaquer de fond et de front en commençant par un audit.

Sur le vif, Laure de la Raudière (UMP), spécialisée sur le numérique, avait qualifié de « scandaleux » ce procédé-express. Contactée par OWNI, elle renchérit, soulignant l’attitude paradoxale du gouvernement : « D’un côté, on pousse les opérateurs à investir dans le très haut débit, par exemple la semaine dernière un programme d’investissement important a été dévoilé par Orange, et là on demande une nouvelle taxe, ce n’est pas sérieux. »

Prévu pour entrer en vigueur le 1er janvier 2012, l’amendement tombera-t-il aux oubliettes ? Apparemment, le gouvernement entendait bien faire le forcing, comme en témoigne la conclusion de François Baroin :

La difficulté est que je ne pourrai pas déposer, au nom du Gouvernement, d’amendement au Sénat. Donc il nous faudra peut-être, dans l’intervalle, trouver avec le rapporteur général, M. Marini, le moyen que ce soit porté par la commission des finances, ce qui, d’une certaine manière, donne un peu plus de fluidité au dispositif.

Image CC Flickr NoncommercialShare Alike Far0_RC1

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