Pour un webdocu modeste

Le 6 septembre 2010

Le webdocumentaire est à la mode et reçoit de nombreux éloges. Certains incitent pourtant à tempérer cet enthousiasme pour revenir aux fondamentaux.

«Un nouveau journalisme est déjà là» : sur son blog de l’AFP, Eric Scherer n’avait pas ménagé son enthousiasme pour la forme du webdocumentaire. Du «slow journalisme», par opposition à la tyrannie du flux et du temps réel, évidemment, ça ne peut pas faire de mal.

Pour autant, ce dithyrambe n’est-il pas exagéré ? Dans un précédent billet consacré au genre, on concluait que «le webdocumentaire est une mode, stimulante, qui permet de gérer une transition entre des formes de journalisme traditionnelles, un patchwork de sons, vidéos, photos, textes, documents, et une forme plus aboutie qui reste encore, à mon avis, à trouver.» (on adore se citer en parlant de soi à la troisième personne ;)

Isabelle Regnier, critique de cinéma au Monde, relève également ce que le projet a de trompeur: il contient une «fausse promesse de cinéma (…) : à l’idée de montage s’est substituée celle de présentation, ce qui est très exactement le contraire.»

Un homme de l’art, le documentariste Rémi Lainé (La Belle et Le Braqueur, L’Amour en France, Outreau, notre histoire…) assène une critique plus sévère : «Le documentaire n’a-t-il pas vocation à embarquer son auditoire dans une histoire, lui faire oublier le temps d’un film qu’il est devant un écran – télé ou ordinateur ? Sur le net, nous explique-t-on, il convient de “délinéariser” le récit. Si le net change notre mode de vie (évidence), il bouleverserait aussi notre façon de voir et de penser. Voire. Quel cinéaste (Welles ? Ford ?) disait d’un film que c’était d’abord un scénario, puis un scénario et enfin un scénario ? (…) Ce que l’on découvre (dans le webdocumentaire) reste très consensuel et l’invitation au clic n’y change rien. Jamais la forme ne débride le propos. La réflexion semble s’arrêter à l’habillage. Sur le fond, rien qui n’ait déjà été vu et revu à la télé. Et on se prend à rêver. Que le net, diffuseur universel et inspirateur de liberté, soit un refuge ou une force de proposition pour les films qui, refusant le conventionnel et contrariant le convenu, ne trouvent pas d’espace chez les diffuseurs traditionnels. Qu’émergent sur la Toile, des films qui fleurent le soufre et le scandale, des films qui décoiffent et apportent un souffle nouveau. Sur le sens des films, ce qu’ils racontent. La forme suivra. »

Voilà qui amène à réfléchir. La technique est au point et l’équipement informatique putatif des «spectateurs» (le haut-débit notamment) permet aujourd’hui à ce genre de se développer. La forme reste prisonnière d’une grammaire ancienne, se contentant des signes extérieurs du documentaire sans s’approprier et adapter les codes cinématographiques. La démarche de l’auteur – celui qui tient par la main son spectateur pour le mener de la première à la dernière image – est mise en réserve en faveur d’une «interactivité», d’une narration en rhyzome. D’un souci louable de mise au pouvoir du public qui est tout autant une abdication de cette responsabilité totale qui rend le documentariste comptable de tout, du succès comme du rejet. En substance, on dit ici à l’internaute: «si vous n’avez pas aimé, c’est que vous n’avez pas eu le talent de prendre le bon parcours».

Le webdocumentaire est parti d’un mauvais pied

À force de buzz, d’enthousiasme déraisonnable, à force d’ivresse de la nouveauté, le webdocumentaire est parti d’un mauvais pied. Peut-être faut-il le reprendre, modestement, faire des dossiers, des reportages, des enquêtes. Avoir avant tout quelque chose à dire et une idée de la façon de le dire. Reprendre ce que chaque média — images, sons, vidéos, animations, infographies, textes, documents, liens — peut apporter spécifiquement. Classer, ordonner, les agencer, scénariser minutieusement sans se laisser abuser par une forme flatteuse et une technique envahissante. Etre simplement modeste.

Bonus :

Table ronde de la SCAM, le 20 janvier 2010.

Émission de la revue Media, avril 2010.

Billet initialement publié sur le blog de Vincent Truffy

Image Creative Commons Marion Boucharlat

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